L’enfance retrouvée à volonté

 

Le génie, comme l’écrivait si bien Charles Baudelaire, est l’enfance retrouvée à volonté.

Ainsi celui de Mathias de Lattre, ayant retrouvé les photos qu’il prit à l’occasion d’un voyage scolaire en Dordogne, alors qu’il était à l’école primaire.

On sait les bambins fascinés par l’énigme des origines, le petit Mathias visitant avec sa classe, yeux grands ouverts et doigt posé sur le déclencheur de l’appareil photo confié par sa mère, un parc de divertissement scientifique dédié à la préhistoire et à ses drôles de créatures géantes.

Zoorama est un acte libre, le photographe redécouvrant le regard de l’enfant de dix ans qu’il était, un jour de pluie, entre animaux factices, aussi vrais que faux, et daims ou chevaux bien vivants.  

En sortant du car, les enfants découvrent d’abord une Deudeuche rouge garée, non loin d’une Simca grise, sur la place d’un village impeccable construit en contrebas d’une colline de karst.

Les copains posent, bien sûr agglutinés, tout est flou mais l’on voit tout, d’ailleurs qu’importe ?

Le cœur fou robinsonne, palpite à cent à l’heure, il faut aller vite, les monstres pourraient s’enfuir, il y a même une trace de doigt sur le coin de l’image.    

Vivre à l’instinct, écouter l’instituteur mais pas trop, sauter par-dessus les barrières.

Avoir les chaussures pleines de boue.

Il est étonnant de constater comme notre regard d’adulte se fonde sur nos expériences d’enfant.

La grâce de Zoorama est de montrer l’inconscient visuel d’un artiste en devenir.

Mais au fond, ces photographies, ont-elles un auteur ?

Peut-être Pierre s’est-il emparé un moment de l’appareil photo de Mathias, ou Juliette, ou Nassim.

Peut-être même n’a-t-il pas été nécessaire de cadrer vraiment, en faisant confiance au boîtier, son possesseur ayant appuyé presque par mégarde.

Plus fondamentalement encore, Zoorama nous rappelle qu’il n’est pas nécessaire d’avoir été spécialement éduqué à l’image, ou, plus grand, d’être passé par le portail d’une école d’art, pour posséder un regard.

Ces images sont la métaphore de tous les premiers gestes photographiques.

C’est la gratuité qui prime, la spontanéité, le besoin immédiat d’expression et de témoignage.

Il faudrait publier bien plus souvent les premières photographies des enfants, créer une collection, et la diffuser.

Il y a dans Zoorama une dimension éminemment démocratique, un peu à la façon du maître ignorant de Joseph Jacotot.

Comme l’expression péjorative mauvaise herbe, qui devrait être rejetée de notre vocabulaire, on peut considérer qu’il n’y a pas de photo ratée, et que même, comme on a pu le théoriser, il est possible de prendre des photographies sans appareil.

Le monde de l’art se gorge de travaux chics, mais très vite dispensables, oubliables, évacuables.

Zoorama, c’est un peu comme un dessin d’enfant, mais avec un appareil jetable.

On ne prévoit pas, on n’élabore pas de concept, on fait.

La poésie, chers membres du jury, membres de l’Académie, membres de rien et de tout, n’est-elle pas cet acte de foi permettant de passer du non-être à l’être ?

Abdiquer ses rêves d’enfant est le commencement du mal.

Le temps a certes passé, mais il reste quelques images rescapées aux couleurs d’autrefois, modestes et émouvantes.

Mais n’oublions pas ce qu’écrivait dans Le bruit et la fureur Faulkner, inventeur d’un royaume de terre et d’eau transfiguré par la puissance magique de son verbe : « Le passé n’est jamais mort, il n’est même pas passé. »

Eh, Mathias, tu écoutes ?

Fabien Ribery